Le tango de l'ennui
Paroles et Musique: François Béranger
autres interprètes: Sanseverino
Je mesure aujourd'hui combien favorisé
J'étais quand je travaillais chez P'tit Louis
A Billancourt-sur-Seine dans l'entreprise modèle
Je participais à l'expansion.
A 5 heures du matin, levé comme à l'aveugle
Se lever avaler son café
S'enfoncer dans le noir, prendre le bus d'assaut
Piétiner dans le métro c'étais le pied.
Anastasie l'ennui m'anesthésie
S'engouffrer au vestiaire, cavaler pour pointer,
Enlever sa casquette devant le chef.
Faire tourner la machine, baigner toute la journée
Dans l'huile polluée, quelle santé !
Surtout ne pas parler et ne pas trop rêver,
C'est comme ça que les accidents arrivent
Et puis le soir venu, repartir dans l'autre sens,
Vers le même enthousiasme voyage.
Anastasie l'ennui m'anesthésie
Heureusement, un jour, Pont-de-Sèvre-Montreuil,
Dans le bain de vapeur quotidien,
Dans la demi-conscience, au hasard d'un chaos,
J'ai senti dans mon dos tes deux seins.
Je me suis retourné, je t'ai bien regardée,
Et j'ai mis mes deux mains sur tes seins.
Tu m'a bien regardé et tu n'as pas bronché,
Bien mieux tu m'as souri et j'ai dit:
Anastasia l'ennui m'anesthésia
Tu t'appelais Ernestine ou peut-être Honorine
Mais moi je préfère Anastasie.
On a été chez toi, ça a duré des mois,
J'ai oublié d'aller chez P'tit Louis.
Qu'est ce qu'on peut voyager dans une petite carrée
On a été partout où c'est bon.
... Suite
Et puis un soir comme ça, pour éviter l'ennui
On décidé de se séparer.
Anastasie l'ennui m'anesthésie
La morale de ce tango, tout à fait utopique,
C'est que c'est pas interdit de rêver
C'est que si tous les prolos, au lieu d'aller pointer,
Décidaient un jour de s'arrêter,
Et d'aller prendre leur pied où c'que ça leur plairait
Ce serait bien moins polluant que l'ennui,
Y'aurait plus de gars comme moi, comme j'étais autrefois
Qui se répétaient tous le temps pour tuer le temps.
Anastasie l'ennui m'anesthésie
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Natacha
Natacha
Ton nom est déjà un voyage
A quoi bon dépenser nos sous
A partir et pour où
A partir
J'aime mieux les rivages ombreux
De notre grand lit aux draps bleus
Où l'on découvre des merveilles
Natacha
Ton ventre est une plaine à blé
Où le Lion court après la Vierge
Dans le soleil de Juillet
Et la plaine
Quand elle finit c'est pour venir
Caresser des montagnes douces
Où je cueille des fruits délectables
Natacha après les monts après les plaines
On arrive dans un pays
Où les mots ne peuvent plus rien dire
Un pays
Où je crois voir ton visage
Avec ta bouche qui s'entrouvre
Avec tes yeux qui cherchent l'ombre
Natacha
L'air que je respire est le tien
Je me baigne dans les grands flots
De tes cheveux abandonnés
Nos navires
Selon le temps selon la mer
Vont calmement ou bien se brisent
Mais c'est toujours pour le plaisir
Natacha
En toi je fais de longs voyages
Les plus beaux les plus délectables
Il me semblait que toi aussi
Tu t'en vas
Tu t'en vas faire le tour du monde
Le vrai cette fois avec des trains
Des Boiengs, des machs des turbines
Natacha
Je crois bien que tu reviendras
Non pas que je sois prétentieux
Mais nos voyages c'était bien mieux
A partir
J'aime mieux les rivages ombreux
De notre grand lit aux draps bleus
Où l'on découvrait des merveilles
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Tranche de vie
autres interprètes: Olivier Trévidy, Thomas Pitiot
Je suis né dans un p'tit village
Qu'à un nom pas du tout commun
Bien sûr entouré de bocage
C'est le village de St Martin
A peine j'ai cinq ans qu'on m'emmène
Avec ma mère et mes frangins
Mon père pense qu'y aura du turbin
Dans la ville où coule la Seine
{Refrain:}
J'en suis encore à m'demander
Après tant et tant d'années
A quoi ça sert de vivre et tout
A quoi ça sert en bref d'être né
La capitale c'est bien joli
Sûrement quand on la voit d'Passy
Mais de Nanterre ou de Charenton
C'est déjà beaucoup moins folichon
J'ai pas d'mal à imaginer
Par où c'que mon père est passé
Car j'ai connu quinze ans plus tard
Le même tracas le même bazar
{au Refrain}
Le matin faut aller piétiner
Devant les guichets de la main d'œuvre
L'après-midi solliciter le cœur
Des punaises des bonnes œuvres
Ma mère elle était toute paumée
Sans ses lapins et ses couvées
Et puis pour voir essayez donc
Sans fric de remplir cinq lardons
{au Refrain}
Pour parfaire mon éducation
Y a la communale en béton
Là on fait d'la pédagogie
Devant soixante mômes en furie
En plus d'l'alphabet du calcul
J'ai pris beaucoup coup pieds au cul
Et sans qu'on me l'ait demandé
J'appris l'arabe et le portugais
{au Refrain}
A quinze ans finie la belle vie
T'es plus un môme t'es plus un p'tit
J'me r'trouve les deux mains dans l'pétrole
A frotter des pièces de bagnoles
Neuf dix heures dans un atelier
Ça vous épanoui la jeunesse
Ça vous arrange même la santé
Pour le monde on a d'la tendresse
{au Refrain}
C'est pas fini...
Quand on en a un peu la d'dans
On y reste pas bien longtemps
On s'arrange tout naturellement
Pour faire des trucs moins fatiguants
J'me faufile dans une méchante bande
Qui voyoute la nuit sur la lande
J'apprends des chansons de Bruant
En faisant des croches-pattes aux agents
{Refrain:}
J'en suis encore à m'demander
Après tant et tant d'années
A quoi ça sert de vivre et tout
A quoi ça sert en bref d'être né
Bien sûr la maison Poulagat
S'agrippe à mon premier faux-pas
Ça tombe bien mon pote t'as d'la veine
Faut du monde pour le F.L.N.
J'me farcis trois ans de casse-pipe
Aurès, Kabylie, Mitidja
Y a d'quoi prendre toute l'Afrique en grippe
Mais faut servir l'pays ou pas
{au Refrain}
Quand on m'relache je suis vidé
Je suis comme un p'tit sac en papier
Y a plus rien d'dans tout est cassé
J'ai même plus envie d'une mémé
Quand j'ai cru qu'j'allais m'réveiller
Les flics m'ont vachement tabassé
Faut dire qu' j'm'étais amusé
A leur balancer des pavés
{au Refrain}
Les flics pour c'qui est d'la monnaie
Ils la rendent avec intérêts
Le crâne le ventre et les roustons
Enfin quoi vive la nation
Le juge m'a filé trois ans d'caisse
Rapport à mes antécédents
Moi j'peux pas dire qu'je sois en liesse
Mais enfin qu'est-ce que c'est qu'trois ans
{au Refrain}
En tôle j'vais pouvoir m'épanouir
Dans une société structurée
J'ferai des chaussons et des balais
Et je pourrai me r'mettre à lire
J'suis né dans un p'tit village
Qu'à un nom pas du tout commun
Bien sûr entouré de bocage
C'est le village de St Martin
{au Refrain}
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François Béranger
Mamadou m'a dit
Paroles et Musique: François Béranger
Mamadou m'a dit
Mamadou m'a dit
On a pressé le citron
On peut jeter la peau
Les citrons c'est les négros
Tous les négros d'Afrique
Sénégal Mauritanie
Haute-Volta Togo Mali
Côte d'Ivoire et Guinée
Cameroun et Tutti Quanti
Les colons sont partis avec des flons-flons
Des discours solennels des bénédictions
Chaque peuple c'est normal dispose de lui-même
Et doit s'épanouir dans l' harmonie
Une fois qu'on l'a saigné aux quatre veines
Qu'on l'a bien ratissé et qu'on lui a tout pris.
{Refrain:}
Les colons sont partis
Ils ont mis à leur place
Une nouvelle élite
Des noirs bien blanchis
Le monde blanc rigole
Les nouveaux c'est bizarre
Sont pires que les anciens
C'est sûrement un hasard.
Le monde blanc rigole quand un petit sergent
Se fait sacrer empereur avec mille glorioles
Après tout c'est pas grave du moment que les terres
Produisent pour les blancs ce qui est nécessaire
Le coton l'arachide le sucre le cacao
Remplissent les bateaux saturent les entrepôts.
{au Refrain}
Après tout c'est pas grave
Les colons sont partis
Que l'Afrique se démerde
Que les paysans crèvent
Les colons sont partis
Avec dans leurs bagages
Quelques bateaux d'esclaves
Pour ne pas perdre la main.
Quelques bateaux d'esclaves pour balayer les rues
Ils se ressemblent tous avec leur passe-montagne
Ils ont froid à la peau et encore plus au cœur
Là-bas c'est la famine et ici la misère
Et comme il faut parfois manger et puis dormir
Dans les foyers taudis on vit dans le sordide.
{au Refrain}
Et puis un jour la Crise
Nous envahit aussi
Qu'on les renvoie chez eux
Ils seront plus heureux
Qu'on leur donne un pourboire
Faut être libéral
Et quand à ceux qui râlent
Un bon coup de pied au cul.
Vous comprenez Monsieur c'est quand pas normal
Ils nous bouffent notre pain ils reluquent nos femmes
Qu'ils retournent faire les singes dans leur cocotiers
Tous nos bons nègres à nous qu'on a si bien soignés
Et puis c'qui est certain c'est qu'un rien les amuse
Ils sont toujours à rire ce sont de vrais gamins.
{au Refrain}
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DURE MERE
Je vois une bouche qui s’ouvre
Comme un trou noir
Et qui n’a pas la force d’exhaler un cri.
Je crois voir un vieillard
Au visage ridé.
On me dit c’est un enfant, je n’en crois rien.
Bras et jambes squelettiques,
Ventre gonflé :
Qu’y a-t-il vraiment dans cette outre affamée ?
Des yeux immenses de pure souffrance :
Accusation au –delà de tout pardon.
Demain quatre milliards de crève- la- faim
Auront-ils seulement la force de rêver ?
De rêver qu’ils mangent un riche bien gras.
Un riche bien gras, bien rose,
Jusqu’à en crever.
Lui casser le crâne, percer la dure-mère,
Boire jusqu’à la lie la bonne matière grise.
Intelligence d’où n’est pas sorti
Le désir, la simple idée de partager.
Terre ! terre ! terre ! Ma terre !
Ma dure mère !
Qu’avons-nous fait de toi ?
Qu’avons-nous fait de nous ?
Qu’avons-nous fait ?
Sur nos belles routes, les paysans
Arrosent de pétrole leurs excédents.
Par millions de tonnes la bouffe invendue
Dort à jamais dans nos entrepôts géants.
Terre ! terre ! terre ! ma terre !
Ma dure-mère
Qu’avons- nous fait de toi ?
Qu’avons-nous fait de nous ?
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MA FLEUR
Réprimez-moi si vous voulez,
à cause de mes cheveux trop longs,
à cause de ma gueule arrogante
au passage des cars de poulets.
Donnez-moi des coup d’pieds dans l’fion,
des coups d’bidules dans les roustons.
Puis enfin traitez-moi de tante,
faites-moi une tête bien rasée
comme les nazis en l’an quarante.
Vous n’aurez pas ma fleur.
celle qui me pousse à l’intérieur.
Fleur cérébrale et fleur de cœur,
ma fleur.
Vous êtes les plus forts
mais tous vous êtes morts
et je vous emmerde.
Réprimez moi si vous voulez
pour avoir essayé d’aimer
sur les pelouses interdites,
hors des institutions sacrées.
Sacré nom de dieu c’est meilleur !
Essayez pour voir, et puis dites !
Divorcez-moi, châtrez moi l’cœur,
et puis l’reste aussi, quel bonheur !
Et mangez-les avec des frites !
Vous n’aurez pas ma fleur, etc…
Réprimez-moi si vous voulez.
Etre différent c’est un crime.
Etre noir ou jaune ou pédé.
Ne pas respecter votre frime.
Avez-vous une fois seulement
songé que la haine ça mine.
Alors que l’amour ça détend,
que ça rend jeune et beau tout l’temps.
Mais bien sûr c’est un gros péché…
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Je voudrais quoiqu’il arrive
Profiter du temps.
Du temps qui me reste à vivre
Tant de temps si peu de temps.
Le temps qui tisse sa trame
Le temps qui file sa chaîne
Le temps qui n’existe pas
Je passe mon temps à ne rien faire
J’en ai plus pour travailler
Je surveille le bananier
Les bananes poussent à l’envers
J’me mets donc la tête en bas
Pour voir la chose à l’endroit
C’est pas bon pour la tension
Mais ça fait jaser les cons
Prendre son pied…. Prendre son pied…
Prendre son pied dans la moquette
Partir en vol plané
Vol plané dans mes synapses
Dans mes univers virtuels
Dans mes giga-neurones
Aussi vite que la lumière
Dans l’infini des mémoires
Un matin l’angoisse te poisse
Tu n’es plus immortel
Tu jettes un œil sur ton compte
Il est pas loin du zéro
Redevenir le héros
Du quotidien qui file
Redécouvrir les gens
Les objets et les jours.
Temps élastique, ressort à boudin
Temps chewing-gum temps caoutchouc
Temps sans début ni fin
Interminable quand on s’ennuie
Impalpable quand on jouit
De la moindre seconde
Comme le ravi du village
Qui rit de tout et de rien
Je voudrais quoiqu’il arrive
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LE VIEUX
Combien d’entre nous ont vu le vieux qui
passe dans la rue ?
Epouvantail tout gris que la cité a exclus.
La rue, les gens et le monde vont bien trop
vite pour lui.
Dans ses yeux absents d’enfant ne passe
que l’effroi du temps.
Pour descendre et remonter six étages
d’escaliers,
il faut l’éternité.
Qu’elle faute a-t-il pu commettre le vieux tout
gris
qui traîne ses vieux membres rassis ,
Combien d’entre nous ont fait quoi que ce
soit de palpable ,
un geste, un mot, un sourire, pour le
raccrocher à nous ?
La vieillesse nous fait frémir, on ne veut pas
croire au pire.
Nos yeux ne retiennent d’elle qu’une image
irréelle.
Mon vieux à moi tous les mois va à tout petit
pas empocher sa pension.
Il se ménage au retour un détour insolite
chez le glacier du coin.
Quand je serais vieux et tout seul demain ou
après-demain,
je voudrais comme celui-là au moins une
fois par mois,
avec mes sous si j’en ai, m’acheter une
glace à deux boules
et rêver sur leur saveur à un monde rempli
d’enfants.
Mais peut-être que pour nous, nous les
vieux de demain,
la vie aura changé.
En s’y prenant maintenant, nous mêmes et
sans attendre, à refaire le présent.
Je donne à ceux qui sourient, et qu’on bien
le droit de sourire,
rendez-vous dans vingt, trente ans pour
reparler du bon temps
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DEPARTEMENT 26
Voilà c’que m’a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante trois ans aux fraise
Et pas toutes ses dents
Un beau soir de l’automne
Assis sur un banc
Devant sa maison de pierres
Dans un village désert
Les brebis font des agneaux
Les chèvres des chevreaux
Moi je voudrais bien aussi
Faire mon propre troupeau
Me voilà d’retour maintenant
D’retour après quinze ans
Mes deux valises en carton
Remplies de solitude
Pour celle que j’attends un jour
J’ai travaillé des jours
A reconstruire une maison
Avec tout c’qui faut dedans
Un chauffage, de l’eau chaude
Un frigo, une radio
J’y vais une fois de temps en temps
Je m’assied et j’attends
En même temps qu’je rebâtissais
J’ai écrit aux journaux
Au Chasseur pour être précis
Avec ma photo
Un jour une m’a répondu que ça l’intéressait
Elle est venue d’sa Bretagne
Jusque dans nos montagnes
C’est Frédéric l’épicier
Qui l’a monté d’la vallée
Dans sa camionnette rouillée
Le jour de sa tournée
Quand j’ai été la chercher
On s’est bien regardé
On n’a pas su quoi se dire
Elle aurait pas dû venir
J’lui ai montré la maison
Les parents l’horizon
Et puis on a essayé un peu de se causer
Je me souviens qu’elle m’a dit
Qu’on était bien gentils
Mais qu’elle ne savait par pourquoi
Elle ne resterait pas
Pour celle que j’attends un jour
J’ai réécrit aux journaux
En y joignant ma photo
Et tout ce qu’il leur faut
Un jour une me répondra
Et ça l’intéressera
Un jour une me répondra
Et même elle restera
Voilà c’que m’a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante trois ans aux fraises
Et pas toutes ses dents
Un beau soir de l’automne assis sur un banc
Devant sa maison de pierres
Dans un village désert.